Bruxelles, 22 novembre 1993

 

LA TRANSMISSION D'ENTREPRISES

 

 

I - LA FISCALITE DE LA TRANSMISSION FAMILIALE

A) Pour une transmission familiale fiscalement acceptable

Considérant que :
-  la Commission prend en compte que l’évaluation de l’entreprise, dans le cadre d’une transmission familiale, se présente sous un contour particulier dans la mesure où elle ne fait pas l’objet d’une véritable négociation :
-  l’évaluation doit être justifiée et défendue devant l’administration fiscale ; elle n’est pas le résultat d’une discussion avec un acquéreur. L’évaluation doit pouvoir être analysée sans aucune suspicion de la part du contribuable.
-  de la même manière qu’un acquéreur prend particulièrement en compte lors de la négociation du prix, les valeurs de rentabilité, il devrait en être de même lorsque l’évaluation sert de base à la taxation dans le cadre d’une transmission familiale.
-  enfin il est nécessaire de prendre en compte que la transmission elle-même constitue quelles qu’en soient les modalités, un risque de déstabilisation pouvant se traduire sur la valeur de l’entreprise. Il serait donc, dans cette perspective, nécessaire de pouvoir admettre que dans le cadre d’une transmission familiale, la date à laquelle l’évaluation doit se faire, puisse ne pas être concomitante de la date de réalisation de la transmission elle-même (décès ou mutation à titre gratuit).

1ère proposition relative à l’évaluation Lors de toute mutation à titre gratuit, l’évaluation de l’entreprise qui sert de base à la taxation pourra être faite à la demande du contribuable à une date postérieure à la mutation.

Considérant :
-  que l’entreprise est un bien d’une nature particulière, il est logique ainsi que l’admettent un certain nombre de réglementations (Belgique et Royaume-Uni) que le barème applicable, lorsqu’il y a mutation gratuite de l’entreprise, soit différent de celui qui s’applique aux autres biens de la succession ou faisant l’objet d’une donation (immeuble, valeurs mobilières, etc). Au Royaume-Uni les actifs professionnels peuvent faire l’objet, sous certaines conditions, d’un abattement de 50%. En Belgique, le taux applicable peut être réduit si la succession porte sur des biens professionnels.
-  le principe de l’égalité du citoyen devant l’impôt n’est pas en soi un obstacle tant il est vrai que les fiscalités des différents pays ont toujours admis et reconnu l’existence de régimes particuliers liés à telle ou telle catégorie de biens.

2e proposition - le barème des droits de mutation Pour l’application des droits de mutation à titre gratuit, l’entreprise ne sera prise en compte que pour le tiers de sa valeur.

Considérant que :
-  la plupart des réglementations européennes accordent un avantage substantiel lorsque le chef d’entreprise accepte d’anticiper la transmission de l’entreprise.
-  les règles fiscales mises en œuvre sont diverses : exonération définitive de la mutation lorsque le décès du chef d’entreprise intervient après un délai déterminé (7 ans par exemple au Royaume-Uni) ; possibilité, lorsqu’il existe un barème progressif, de ne pas rappeler les mutations antérieures de plus d’un nombre déterminé d’années ; réduction du montant des droits modulée en fonction de l’âge du donateur.
-  le législateur français a utilisé les deux dernières techniques mais d’une manière très parcimonieuse puisque le non rappel des donations antérieures fonctionne sur un délai de 10 ans et la réduction de 25% suppose tout à la fois donation-partage et âge du donateur inférieur à 65 ans. Cette dernière condition est paradoxale puisqu’elle fait dépendre le régime fiscal particulier du consentement de ceux des donataires copartagés qui n’ont pas vocation à participer au capital de l’entreprise.

3e proposition - l’incitation à l’anticipation de la transmission Lorsque la mutation à titre gratuit porte sur une entreprise, le délai applicable à la règle du non rappel des donations antérieures est fixé à cinq ans au maximum. Une réduction d’au moins 25 % des droits est appliquée sous la seule condition que le donateur ait moins de 65 ans.

Considérant que :
-  la charge des droits de mutation à titre gratuit, qu’il s’agisse d’un décès ou d’une donation représente unprélèvement financier non négligeable et qui peut se trouver particulièrement pénalisant en matière d’entreprise. La constatation se fait en effet dans tous les pays : lorsqu’il y a des droits de mutation à financer, c’est assez souvent à partir de l’entreprise que tentent de s’orienter les praticiens.
-  dans ces conditions, il est indispensable de pouvoir étaler sur une période relativement longue, le paiement des droits de mutation en faisant en sorte que ce crédit coûte le moins cher possible.
-  il faut de ce point de vue reconnaître que le nouveau régime fiscal du paiement fractionné différé tel que l’admet désormais la réglementation française peut constituer un exemple sur ce point.

4e proposition - le paiement des droits de mutation Le paiement des droits de mutation à titre gratuit en tant qu’ils s’appliquent à l’entreprise doit pouvoir faire l’objet d’un étalement sur quinze ans moyennant un taux privilégié.

Conclusion On l’a bien compris, la réflexion à mener, sur le plan européen, pour une harmonisation des fiscalités en matière de transmission d’entreprise au sein de la famille, n’a d’autre objectif que d’assurer l’égalité des entreprises dans la compétition internationale. Il est en effet évident qu’une fiscalité qui se révélerait particulièrement plus lourde dans un pays aurait inéluctablement pour conséquence de mettre l’entreprise dans une situation plus difficile par rapport à ses homologues européens.

B) Pour une motivation de l’actionnariat familial

Considérant :
-  qu’il faut favoriser le maintien de l’actionnariat familial et pour cela rendre plus attractive la position des minoritaires, prisonniers de sociétés juridiquement et économiquement "fermées",
-  qu’il faut donc offrir à ces minoritaires une rentabilité comparable à celle que leur offrirait un placement boursier classique,
-  qu’il faut pour cela permettre de concentrer toute la capacité distributive de l’entreprise sur les actionnaires ayant souscrit un engagement de fidélité jusqu’à ce que la rentabilité de leur capital approche celle qu’ils auraient atteinte sur le marché des sociétés cotées.

1ère proposition Les législations européennes doivent faciliter l’utilisation des titres privilégiés pour certains actionnaires familiaux en consacrant leur validité.

Considérant toujours :
-  qu’il faut favoriser le maintien de l’actionnariat familial et pour cela rendre attractive la position du minoritaire en lui offrant une rentabilité proche de celle des actions cotées,
-  que dans la mesure où ces minoritaires s’engageraient à maintenir leur investissement pendant une certaine durée, il serait équitable de leur accorder un avantage fiscal pour compenser les inconvénients liés à la faiblesse des distributions.

2e proposition L’imposition des dividendes distribués aux associés familiaux détenteurs de titres doit être sensiblement allégée pendant une période de cinq ans après la transmission de ces titres à leur profit.

Considérant toujours :
-  qu’il est opportun de favoriser le maintien de l’actionnariat familial et pour cela de rendre attractive la position des minoritaires,
-  que l’absence de marché aboutit souvent à rendre l’actionnaire familial "prisonnier" de son titre,
-  qu’il faut donc faire en sorte qu’en contrepartie d’un engagement à long terme, l’actionnaire soit assuré de pouvoir récupérer son capital nonobstant l’étroitesse du marché, voire même l’absence, de tout amateur.

3e proposition Les statuts des sociétés sous toutes leurs formes doivent pouvoir contenir une clause de retrait permettant à l’actionnaire de contraindre la société au rachat de ses titres avec une totale neutralité fiscale.

Considérant :
-  que pour des raisons humaines, psychologiques, financières ou commerciales, le maintien des membres d’une même famille au sein de la société initiale peut s’avérer impossible ou inopportun,
-  que si cette situation débouche sur un désinvestissement, les capitaux libérés s’orienteront le plus souvent vers des placements immobiliers ou purement financiers,
-  que pour favoriser la création de nouvelles P.M.E., il serait opportun de capter ces capitaux en les exonérant de toute ponction fiscale lors du transfert d’une entreprise à une autre.

4e proposition Exonération de toute taxation, tant au niveau de l’entreprise que de l’actionnaire, des cessions d’actions suivies dans le délai d’un an, d’un réinvestissement dans des sociétés non cotées à caractère industriel, commercial, agricole ou libéral, créées ou reprises.

II - LA TRANSMISSION DE L’ENTREPRISE ET L’IMMOBILIER

Considérant :
-  que les petites et moyennes entreprises (PME ou PMI) composent la majeure partie du tissu économique européen,
-  que près de 90 % de ces entreprises sont soit en nom personnel, soit en actionnariat familial,
-  que 10 % environ des dépôts de bilan sont imputables à une succession mal réglée,
-  que, dans leur majeure partie, les PME de 50 à 100 salariés ont été créées avant 1955 et se trouvent donc démographiquement en situation potentielle de transmission,
-  que la fiscalité applicable à la transmission d’une entreprise a limité très fortement la transmission par voie de succession,
-  qu’il est souhaitable et profitable pour le maintien du tissu économique de favoriser le ou les héritiers susceptibles d’assurer le maintien de l’activité de l’entreprise,
-  que l’actif de ces entreprises, pour un grand nombre d’entre elles, comprend des valeurs immobilières qui ne sont pas indispensables pour assurer la pérennité de l’entreprise,
-  en conséquence, que cette partie d’actif peut permettre d’assurer sainement la transmission à l’héritier repreneur tout en réservant les droits des autres héritiers par la transmission à leur bénéfice de l’actif immobilier,
-  mais que l’application des règles fiscales actuelles rend impossible la mise en uvre de cette solution, pourtant éminemment souhaitable pour assurer la pérennité de l’entreprise et notamment le maintien des emplois qui y sont exercés . L’Association estime que l’immobilier, élément d’actif, peut concourir à la survie de l’entreprise par son transfert au bénéfice des héritiers non repreneurs.

1ère proposition Supprimer les mesures fiscales applicables actuellement à la sortie de l’immobilier de l’actif de la Société : régime des plus-values ; impôts de distribution ; frais de réduction du capital ; droits de mutation

2e proposition Permettre, afin de préparer la transmission, de mettre en uvre ces mesures dans le cadre d’une mutation à titre gratuit.

3e proposition Appliquer à l’immobilier de l’entreprise les mêmes règles fiscales qu’aux autres éléments de l’actif.

4e proposition Admettre le principe d’étalement, sur une durée de quinze ans, du règlement des droits de donation ou de succession concernant l’immobilier affecté à l’entreprise, avec paiement des seuls intérêts pendant cinq ans et remboursement du principal + intérêts pendant les dix années suivantes.

5e proposition En compensation, obliger les bénéficiaires à conserver dans leur patrimoine, pendant au moins cinq ans, les biens immobiliers ainsi décernés et de les destiner au service de l’entreprise transmise, ou d’en conserver au moins 60% de leur valeur, si ces biens sont la propriété d’une Société Immobilière constituée simultanément avec la transmission.

Considérant :
-  que 44 % seulement des chefs d’entreprises estiment avoir préparé leur succession,
-  que, quel que soit le mode de transmission, à titre onéreux ou gratuit, le chef d’entreprise a intérêt à organiser son patrimoine à l’avance en prévoyant sa transmission,
-  qu’en conséquence le propriétaire doit pouvoir isoler le patrimoine immobilier de l’actif de sa Société,
-  que cette segmentation du patrimoine va permettre de créer un arbitrage entre les héritiers afin de faciliter la transmission de l’entreprise,
-  qu’il faut alors harmoniser les incidences fiscales de la transmission. L’Association estime qu’en cas de constitution, à titre personnel, d’un patrimoine immobilier voué à l’exploitation de l’entreprise familiale, il convient de mettre en oeuvre des conditions particulières.

1ère proposition Permettre la déductibilité des droits et frais d’acquisition.

2e proposition Favoriser, par une fiscalisation adaptée, l’extension du crédit-bail ou de toute autre forme de financement de l’immobilier affecté à l’entreprise familiale.

3e proposition Autoriser un amortissement annuel à hauteur d’au moins 5% de l’investissement réalisé

III - COMMENT CREER UN MEILLEUR ENVIRONNEMENT FINANCIER POUR LES PME EN EUROPE ET LEURS REPRENEURS EVENTUELS

Considérant :
-  que le développement et la reprise des PME en Europe passe par un meilleur environnement financier,
-  qu’aujourd’hui l’investisseur institutionnel peut hésiter à financer une PME au niveau européen : d’une part, en raison du risque qu’il est obligé d’assumer seul ; d’autre part, en raison du manque de liquidité de l’investissement dû à l’absence de tout marché organisé,
-  encore que pour tenter l’aventure d’un investissement hors de leurs propres frontières, les PME en Europe ont besoin d’avoir accès aux services de conseillers juridiques, fiscaux, financiers et comptables susceptibles de traiter des transactions transfrontalières. En conséquence, l’Association propose :

1ère proposition Il faut mettre au point un fonds de garantie européen qui permette de faciliter les projets en fonds propres et en financement des entreprises acceptant de participer franchement à l’opportunité européenne, ceci devant se faire par le biais de la répartition du risque auprès des organismes déjà existants, type Sofaris en France, le Loan Guaranty Scheme (LGS) en Grande-Bretagne, ou le Garantieregeling PPM aux Pays-Bas.

2e proposition Tout en poursuivant les projets de second marché européen, il faut de même mettre au point une organisation européenne qui propose aux actionnaires des PME des possibilités de transactions sur les blocs de titres et, de ce fait, une certaine liquidité dans ce domaine.

3e proposition Il convient d’encourager : la formation de spécialistes ayant une connaissance de la culture et des techniques de plusieurs pays, notamment par l’accueil de stagiaires étrangers dans les cabinets de conseil, la coopération pluridisciplinaire et transfrontalière des professionnels de conseils aux entreprises.